Il y a les figures historiques de la traîtrise…

Tous les peuples ont hélas leurs judas et à ce niveau le peuple alsacien est même plutôt bien servi. Depuis 1648, date marquant le début de son assujettissement, il a eu son lot de traîtres qui renièrent leurs compatriotes, leur cité, leur culture, leur langue, leur religion… Par vanité, souci de réussite ou en échange de quelques honneurs, titres ou prébendes lucratives, ils ont prêté main forte à l’oppresseur pour asseoir sa domination sur leur peuple. Deux renégats célèbres de Strasbourg sont restés dans l’histoire alsacienne. Il s’agit de deux éminents juristes : Jean-Christophe Güntzer (1636-1695), diplomate et ancien secrétaire de la République libre de Straßburg qui œuvra en sous-main pour livrer la ville au roi de France et Ulrich Obrecht (1646-1701) dont l’historien Rodolphe Reuss a dit qu’il était « plus royaliste que le roi ».

Après la capitulation de la cité devant les troupes françaises, tous deux tournèrent casaque et misèrent sur la royauté. Faisant preuve d’une servilité peu commune, ils s’appliquèrent à briser la résistance des édiles de l’ancienne ville libre d’empire et défendirent, avec un zèle peu commun, les intérêts français contre ceux de leurs propres compatriotes qui luttaient pour préserver leurs libertés et leurs droits. Pour prix de sa trahison, le premier fut nommé syndic royal dès le 9 octobre 1681. Quant au second, nommé au poste de prêteur royal en 1685, il se chargera de la mise au pas des Strasbourgeois et couvrira toutes les mesures royales pour imposer le français et entraver voire interdire l’usage de l’allemand. Pour plaire au roi catholique, il finira même, comme le premier, par abjurer sa religion protestante. A Straßburg, tous deux firent une brillante carrière de « valets » alsaciens du roi.

Par la suite, la bourgeoisie alsacienne coupée des racines populaires viendra alimenter cette galerie de la honte. Très tôt, elle se désolidarisa du peuple pour se ranger du côté de l’oppresseur. Elle se distingua tout particulièrement par son reniement de la langue et de la culture régionales pour adopter celles du dominant, celles du pouvoir politique. Sa collaboration intéressée avec le pouvoir français sur le dos du peuple alsacien permettra à Paris d’asseoir son emprise sur le pays. Citons en exemple l’avocat Colmarien Jean-François Reubell (1747-1807) auquel Mulhouse, ancienne république suisse, dut la perte de sa souveraineté suite à l’odieux blocus économique qu’il organisa pour la contraindre de se plier à l’ordre français ; l’abbé Nicolas Delsor (1847-1927), triste pantin manipulé par Paris, qui organisa le sabordage du Nationalrat initié par le Dr Ricklin pour préserver les acquis du Reichsland pour lesquels les Alsaciens-Mosellans s’étaient battus ; Jacques Peirotes (1869-1935), ancien adhérant du parti social-démocrate allemand et partisan d’une transformation du Reichsland en République neutre dans le cadre de l’Empire allemand, qui, dès novembre 1918, soutint pourtant les Commissions de Triages et l’épuration ethnique et n’aura ensuite de cesse de réclamer l’assimilation totale de l’Alsace…

… et ceux qui, à présent, ont pris leur relève

Ces hommes, qui de leur temps ont fait la honte et le malheur de l’Alsace, ont à présent de dignes successeurs. Philippe Richert est de cette trempe, c’est un judas d’aujourd’hui. A cause des ses choix calamiteux, de son esprit de soumission et de sa volonté de rester toujours dans les bonnes grâces de Paris pour servir son ambition personnelle et sa boulimie de pouvoir, l’Alsace lui doit d’avoir été rayée de la carte des régions de France. En effet, à la tête de la Région, ce narcisse dévoré d’ambition a cumulé les erreurs, les mauvais calculs et les reniements jusqu’à conduire le pays à la disparition. De volte-face en volte-face, ce « derviche tourneur » alsacien a fini par donner le tournis à tous, même aux élus de son propre camp politique. Parions qu’il entrera dans l’histoire comme le fossoyeur de l’Alsace, celui par qui arriva notre malheur.

Capable de nager dans toutes les eaux, le déroulé de ses reculades, trahisons, louvoiements, renonciations et capitulations successifs est sidérant :

             Première stupidité de notre président !

Alors qu’il était ministre dans le gouvernement Fillon chargé des collectivités territoriales et de l’application de la réforme territoriale, il n’a pas compris le coup de Jarnac que lui préparaient les jacobins de Paris qui, en fixant des conditions draconiennes de quorums, œuvraient à faire échouer le référendum en faveur de la « Collectivité unique alsacienne ». Les Corses, eux, ont refusé un tel dispositif. Résultat, ils viennent d’obtenir, sans passer par la case référendum, le statut de « Collectivité territoriale unique » : « Entre juillet et la fin de l’année 2012, j’ai passé beaucoup de temps sur le dossier alsacien. À l’époque, l’Alsace (c’est-à-dire Philippe Richert) avait demandé l’organisation d’un référendum, et rien d’autre : nous y avons bien sûr fait droit, mais ce référendum a donné le résultat que vous savez », a expliqué la Ministre de la décentralisation Marylise Lebranchu à l’Assemblée le 20 février 2015.

 S'Elsass brücht ...

Le fiasco du référendum !

Vint la campagne en faveur du référendum : elle fut calamiteuse. Effrayé à l’idée de déplaire à Paris et de s’attirer les foudres des jacobins, Philippe Richert refusa de jouer la carte de l’Alsace contre Paris et resta toujours dans le vague sur les possibilités émancipatrices et les nouvelles perspectives qu’offrait cette réforme. Il se contenta d’axer sa campagne sur les « simplifications administratives » et les « économies d’échelles » en moulinant des formules creuses. Jamais il ne prononça le mot d’autonomie ! Du coup, le projet manquant de transparence, il en résulta une certaine incompréhension. Le résultat fut le terrible gâchis que l’on sait[1] ! A Paris, les jacobins à l’affût purent alors sauter sur l’occasion pour imposer la fusion de l’Alsace et de la Lorraine.

Grosse boulette de Philippe Richert !

A peine le projet gouvernemental de fusion avec la Lorraine connu, Philippe Richert, qui quelques mois auparavant avait défendu une « Alsace unie et plus forte », se plia immédiatement aux injonctions de Paris. En catimini, sans en référer à personne, il alla se précipiter dans les bras de son homologue lorrain Jean-Pierre Masseret pour étudier avec lui, « au sommet » bien sûr, le rapprochement de la Lorraine et de l’Alsace. Mais, pas de chance, le journal Le Monde du 22 avril 2014 ébruita l’affaire ! Pris en défaut, le socialiste lorrain Jean-Pierre Masseret le premier se mit à table : « La Lorraine est prête à dépasser les clivages politiques (…) avec Philippe Richert président UMP de la région Alsace, nous sommes prêts à mettre en œuvre des expérimentations », expliqua-t-il. La manœuvre d’approche de Richert fit donc chou blanc et, même dans son camp, on cria à la trahison ! Gêné, il va alors évoquer timidement des « synergies » et des « convergences » entre ces deux régions. Et ce fut un nouveau mauvais message adressé à Paris  où le gouvernement interpréta son attitude comme l’acceptation de la fusion avec la Lorraine.

Plus grave encore : la résignation affichée côté alsacien eut alors pour conséquence d’inciter le gouvernement – confronté à l’hostilité des Picards au mariage avec la Champagne-Ardenne – à élargir le projet de fusion initiale de l’Alsace et de la Lorraine à la Champagne-Ardenne dont il ne savait que faire. C’est ainsi que nous devons probablement à l’inconséquence de Philippe Richert cette usine à gaz qu’est la méga région ALCA grande comme près de 2 fois la Belgique et qui finira inévitablement par engloutir l’Alsace (le Conseil régional de l’ALCA comptera 169 élus dont seulement 60 pour l’Alsace).

 

Autre erreur tactique !

En Alsace, cette méga Région allant de Nogent en Haute-Marne jusqu’au Rhin et de la Belgique aux portes de Paris, fit immédiatement l’unanimité contre elle. Et ce fut une levée de boucliers générale… même de la part des élus UMP qui furent eux aussi vent debout contre ce qui apparaissait à tous comme une aberration… e Schnapsidee von unsere pariser Jakobiner ! D’ailleurs, elle ne permettait ni économie, ni démocratie de proximité ! Le maire de Mulhouse lança même une pétition teintée d’autonomisme – titrée « L’Alsace reprend son destin en main » – demandant que « L’Alsace reste seule » et qui, en quelques semaines, recueillera plus de 60 000 signatures. De leur côté, les deux Conseils départementaux et le Conseil régional votèrent à 96% une motion contre cette fusion et le retour du Conseil unique d’Alsace. Et la colère continuait d’enfler.

Craignant de n’être pas de taille pour jouer le chef d’orchestre dans ce Grand-Est couvrant 57 000 km2, pour garder la main et éviter une révolte de ses troupes, Philippe Richert opéra une nouvelle volte-face : il rejetait cette fois catégoriquement toute idée de fusion ! Ainsi, le 28 août 2014, très offensif, il déclarait dans les DNA : « La fusion Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne est tout simplement inacceptable (…) Le Conseil d’Alsace est la seule réponse possible (…) Si l’Alsace parle d’une voix claire et encore plus forte, le gouvernement ne pourra pas ne pas l’entendre ».

Adoptant une posture de rebelle, le 11 octobre 2014, il organisa une grande manifestation de protestation place de Bordeaux à Strasbourg qui devait marquer la détermination alsacienne. Là, sur la tribune, les tenants de la droite alsacienne se succédèrent en jouant des biscotos : l’Alsace dit non à la fusion, awer jetz langt’s… ! Arriva le tour du président Richert. Avec des airs de tribun courroucé et déterminé, il fit mine de montrer les dents : « Nous croyons à une Alsace ouverte sur le Rhin (…) Le pari est réussi (les Alsaciens) ont dit oui à l’Alsace ! », lança-t-il au micro face aux 10000 manifestants enthousiastes et une forêt de rot un wiss… avant d’entonner la Marseillaise et de clore la manifestation avec un lâcher de ballons tricolores, à l’instar d’une joyeuse fête paroissiale, suscitant l’incompréhension et la désapprobation de beaucoup. Colère… mais quand même génuflexion !

Cette mise en scène grotesque, vu le contexte tendu de contestation voire de fronde, était en réalité destinée à rassurer Paris où l’on comprit dès lors que le président de l’exécutif régional, incapable de se départir de son obséquiosité et de son penchant pour l’obéissance, n’engagera pas la fronde jusqu’au bout et n’entrera pas en résistance. Et ce sera un nouveau flop !

 1 Manif 11.10.2014

Nouveau retournement de veste !

A partir de là, médusée par le nombre des rot un wiss brandis par la foule et le poids inattendu des autonomistes du parti Unser Land lors de la manifestation du 11 octobre, l’UMP préféra se mettre en retrait et rester dans l’expectative. Cependant, désireuse néanmoins d’exploiter le mécontentement à son profit, en décembre 2014, elle fit savoir, par la voix de Nicolas Sarkozy invité à un meeting à Mulhouse, qu’en cas de retour au pouvoir en 2017, elle annulerait purement et simplement la fusion de l’Alsace avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne.

L’indignation ne retombant point et l’UMP ne bougeant toujours pas, c’est à partir des réseaux sociaux que furent alors organisées plusieurs grandes manifestations citoyennes contre la fusion à Strasbourg, Colmar, Mulhouse et Thann. Elles réunirent des milliers de manifestants, pour la plupart jeunes, issus de toutes les couches de la population alsacienne. Les autonomistes, qui y tenaient le haut du pavé, dénonçaient l’aspect antidémocratique de la fusion programmée et réclamaient un référendum !

Placée sous la coupe de Philippe Richert, l’UMP refusa de participer à ces manifestations populaires d’une ampleur rare. Pire, le tandem Richert-Kennel n’aura de cesse de fustiger les manifestants et de dénigrer les autonomistes : « À cause de ces manifestations, nous sommes perçus à Paris comme des autonomistes. Pour certains, on est même des Allemands », dira ce dernier dans « L’Alsace » du 5 décembre 2014, avant d’ajouter : « L’Alsace n’a pas les moyens de son autonomie ». Un discours qui a du ravir Paris.

En savant équilibriste politique, Philippe Richert commença alors par amorcer un nouveau virage vers un abandon de la cause alsacienne… normal, quand on sait que, dès le 11 décembre 2014[2], il était quasiment acquis au sein de l’UMP qu’il serait investi pour prendre la tête de la liste du parti dans la région ALCA aux régionales prévues en décembre 2015 ! Ceci expliquant bien sûr cela !!!

(à suivre ici)

 [1] Le oui l’emporta pourtant de 58%. Mais l’imposition d’une participation minimale de 25% des inscrits et l’obligation de la victoire du oui dans les deux départements, firent échouer le référendum.

[2] DNA du 11.12.2014 – « Qui pour prendre la tête de la liste UMP aux prochaines régionales ? »