Le titre est très un peu provocateur, mais la démonstration semble intéressante à faire, car le texte d’une Constitution est un texte fondateur. Dès lors, que faut-il penser de la Constitution française quand on est confronté à cette réalité liée au passé colonialiste de la France.
On nous parle souvent du score fabuleux de 82,6 % de oui à l’adoption de la nouvelle Constitution promulguée le 5 octobre 1958, comme pour nous demander de considérer ce oui magistral comme une obligation définitive de nous soumettre à ce texte.
Pourtant, on trouve de drôle de pratiques dans les archives. Ainsi, l’Assemblée nationale présente le résultat intégrant les résultats de la Guinée, ce qu’avait refusé de faire la commission et qui a été acté dans le journal officiel du 5 octobre 1958.
L’Assemblée nationale insiste même sur le fait que le vote permet aussi, dans les territoires d’outre-mer, de se prononcer pour l’entrée dans la Communauté ou l’indépendance. Tous les territoires d’outre-mer ont voté oui, sauf la Guinée qui devient ainsi indépendante.
À lire ce texte, on pourrait penser que seuls les Français ont voté. Et pourtant, on est très loin du compte !
En effet, ont participé à ce vote nombre de pays n’appartenant plus à la France aujourd’hui (je dis bien appartenir, car ces pays n’avaient pas trop le choix face à un pays qui débarque d’abord ses militaires…). Or, les chiffres détaillés que donne le journal officiel sont très surprenants. En effet, les pays colonisés suivants appartenaient encore à la France et leurs citoyens ont donc participé au vote, dont on peut imaginer qu’il a été fait dans les règles de l’art et sans aucune influence.
Il en ressort que les habitants des pays suivants ont participé au vote de la Constitution française de la 5e République :
Département d’Algérie, département du Sahara, Moyen-Congo, Gabon, Tchad, Oubangui-Chari, Sénégal, Mauritanie, Soudan, Niger, Côte d’Ivoire, Haute-Volta, Dahomey, Comores, Côte des Somalis, Madagascar, Togo, Cameroun, Nouvelles-Hébrides.
Au total, leurs bulletins de vote pour le oui, représentent un total de 12 779 756 bulletins OUI, soit, quand même 41,14 % !
Autrement dit, 4 Français sur 10 a avoir voté la Constitution de 1958 ne sont pas restés Français, certains ayant même fait la guerre contre la France !
Bien sûr, comme il fallait avoir 21 ans à l’époque pour voter, on peut dire que les Français a avoir participé au vote du 28 septembre 1958 ont au moins 84 ans aujourd’hui… Ils doivent forcément être bien moins nombreux qu’à l’époque. Il en résulte qu’entre ceux qui ne sont plus Français et ceux qui ne sont plus… l’immense majorité des Français en 2021 n’a pas voté cette Constitution, d’autant que la France de l’époque n’a plus rien à voir avec la France d’aujourd’hui. Ne pensez-vous pas que de vivre avec une Constitution que très peu de personnes ont voté, devrait justifier d’en écrire une nouvelle ?
Avec cette Constitution de 1958, la France a commencé à glisser dans une espèce du culte du secret et à imposer l’idée que le bien général du peuple ne peut se concevoir que dans le secret des alcôves dorées du palais… bien sûr, uniquement par des personnes dignes d’intégrer le palais.
Il est d’ailleurs assez amusant de constater que depuis que j’avais fait un article sur mon blog personnel (aujourd’hui fermé), les liens que j’indiquais alors sont tous devenus inopérants… et toutes les références aux conditions confidentielles de la rédaction de la Constitution ont été supprimé… ça faisait sans doute mauvais genre. Donc, à l’époque de l’article de mon blog, on pouvait lire ceci sur le site du Conseil Constitutionnel, à la question « comment est née la Constitution ? ».
« Ainsi, alors que les Lois de 1875 et la Constitution de 1946 avaient été élaborées par des assemblées parlementaires à travers des travaux de commissions et des débats publics, donc une publicité des discussions, les travaux d’élaboration de la Constitution de la Ve République se déroulent dans une ambiance quasi confidentielle. Par nature, les délibérations du Gouvernement du début juin à fin juillet 1958, les conseils gouvernementaux ultérieurs, ainsi que les réunions d’experts et de commissaires du Gouvernement destinés à préparer les réunions interministérielles, les conseils de cabinet ou les Conseils des ministres, respectent la notion de secret des délibérations gouvernementales. »
Une Constitution rédigée dans une ambiance quasi confidentielle et adoptée par une population dont 41,14 % n’aspiraient qu’à l’autonomie dans le contexte de colonisiation, ça vous branche ?
Peut-être serait-il temps de quand même se poser des questions, non ?
Pour en rajouter un peu, on peut aussi écouter le général de Gaulle nous parler de 5e République et de l’esprit dans lequel il a écrit cette Constitution de 1958… Et il prédit en quelque sorte la catastrophe nationale que nous vivons.
Voici la transcription d’une partie de son propos (vous pouvez trouver l’intégralité de la transcription sur le site de l’INA :
« Nous avons fait, j’ai proposé au pays de faire la constitution de 58 après les drames que vous savez, et dans l’intention que, d’ailleurs, j’avais annoncée de la façon la plus formelle et la plus publique, de mettre un terme au régime des partis. Il s’agissait d’empêcher que la République, l’État, fut, comme il l’était avant, à la discrétion des partis. Et c’est dans cet esprit que la constitution a été faite, et c’est dans cet esprit, que je l’ai proposée au peuple qu’il l’a approuvée, je suis sûr, qui l’a approuvée dans cet esprit. Alors, si malgré l’enveloppe, malgré les termes, malgré l’esprit de ce qui a été voté en 58, les partis se réemparent des institutions, de la République, de l’Etat, alors évidemment, rien ne vaut plus. On a fait des confessionnaux, c’est pour tâcher de repousser le diable, mais si le diable est dans le confessionnal, alors, ça change tout. Or ce qui en train d’être essayé, c’est, par le détour de l’élection du Président de la République au suffrage universel, de rendre l’État à la discrétion des partis. Car comment peut marcher la constitution de 58, et comment marche-t-elle ? Et marche-t-elle très bien, je crois, depuis sept ans ? Elle marche grâce à un chef d’État qui n’appartient pas aux partis, qui n’est pas délégué par plusieurs partis, et même à plus forte raison, par tous, qui est là pour le pays, qui a été désigné, sans doute, par les événements, mais qui, en outre, répond à quelque chose qui est commun à tous les Français par-dessus les partis et qui est leur intérêt commun, leur intérêt national. C’est comme ça que la constitution marche depuis 58. Si, à la place de ce chef d’État qui est fait pour empêcher que la République ne retombe à la discrétion des partis, on met un chef d’État qui n’est que l’émanation des partis, alors, je vous le répète, on n’aura rien fait du tout, et tout ce qu’on aura écrit dans la constitution ne changera rien à rien. On en reviendra à ce qui était avant, avec, peut-être, quelques formes légèrement différentes, mais on en reviendra au gouvernement — si tant est qu’on puisse l’appeler comme ça — des partis. Et ce serait, j’en suis sûr, comme j’en ai toujours été sûr, une catastrophe nationale. »
Il faut admettre que le grand Charles avait une vision très juste de ce que valent les partis politiques. Ne pensez-vous pas que ce qu’il redoutait est exactement ce que nous vivons aujourd’hui ?
Aujourd’hui, nous qui vivons dans le sud de l’Alsace et qui connaissons la Suisse, nous sommes très bien placé pour mesurer le fossé qui sépare deux pays qui se disent démocratique.
Commentaires récents