Ewald Jaschek est mort. Ce mardi 12 avril 2016 à Village Neuf, Catherine Dahmane et quelques camarades ont accompagné Pierre Rieffel sur sa tombe pour y déposer une gerbe, qu’ils en soient ici remerciés.

Je ne vais pas retracer l’histoire des Loups Noirs, j’invite les lecteurs qui veulent la découvrir à consulter la bibliographie ci-dessous. J’aimerais simplement préciser les raisons qui me poussent à m’incliner devant leur courage.

Le monde médiatique et politique dans lequel nous baignons nous invite, nous incite, nous enjoint de juger les personnes et les choses exactement de la même manière qu’il nous pousse à consommer : à la va-vite et surtout sans réfléchir. Cette fille a une plastique irréprochable ? Fais comme elle, mange ce yaourt, achète ces godasses, souscris la même assurance, prends un crédit comme elle ! Ce type a mis le feu à une baraque du Struthof ? Il s’est rendu à des réunions néonazies en Allemagne ? Maudit soit-il ! Tu dois l’exclure de la communauté des humains ! Et surtout veille en toute circonstance à te distancier de sa personne et de ses actes !

Le pire, c’est qu’ici je n’exagère pas d’un iota.

Pour moi, les Loups Noirs, c’est avant tout l’histoire d’une immense douleur humaine, des histoires individuelles avec des valises pleines de souffrances, des destins brisés qui se rencontrent dans un contexte politique particulier, et qui, pour crever l’abcès, passent à l’action.

Le détonateur, c’est la parole interdite.

Si la république française était une démocratie, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un grand parti chrétien social régionaliste aurait vu le jour en Alsace. Ayant son siège dans la région, il aurait eu dès les premières élections un grand nombre d’élus, très probablement la majorité des députés alsaciens ainsi que la présidence des deux départements. Bien entendu, il aurait eu son pendant en Moselle. Il est une absolue certitude que ce parti, tout en défendant les spécificités alsaciennes et en premier lieu l’allemand d’Alsace, aurait été d’une parfaite loyauté envers la France, bien plus : on aurait pu le qualifier de parti patriotique.

Bref, un grand mouvement régionaliste se serait développé en Alsace, protégeant les acquis des anciens, favorisant l’enseignement d’un français de qualité dans le respect de la personnalité des enfants d’Alsace. Il aurait laissé les forces vives de la région se développer dans la région et aurait fourni à la France des bataillons d’ambassadeurs de la paix, patriotes français maîtrisant parfaitement l’allemand et capables de créer les liens de compréhension de peuple à peuple : les seuls qui garantissent la paix à long terme.

Mais Paris n’en a pas voulu.

Au lendemain de la guerre, il fallait faire payer ces salopards de Boches de l’Est pour la branlée qu’on avait pris en 40. Il fallait foutre quarante mille Alsaciens et Mosellans en prison ou en camp, coller tout ce qui ressemblait à un régionaliste au gnouf. Il fallait en finir avec cette langue de cochons qui vous donne l’impression d’être en Patagonie dès que vous passez les Vosges dans le sens Ouest-Est. Et hors de question qu’un parti local puisse exister, hors de question que sa presse puisse survivre. On met la police politique, les préfets sur le coup : la spécificité crèvera ! Ils seront français sur le même moule que les autres !

La violence faite aux enfants !

Aucune étude ne peux donner la mesure de ce viol linguistique commis sur des dizaines de milliers de gamins. Que l’école parle une autre langue que la maison, ça peut même être rigolo, mais que l’école rabaisse plus bas que terre l’univers du foyer et ce sont des déchirures irréversibles qui se mettent en place. Déchirures qui, le plus souvent, sont minimisées par la victime elle-même une fois l’âge adulte arrivé. Ce mécanisme de protection a été parfaitement décrit par Alice Miller.

Et le chantage aux parents complétait le tableau : « Vous voulez en faire un balayeur ? Alors arrêtez de lui parler votre langue de sous-développés ! »

Ecoutons le chant d’Eugène Mann dans »Elsassischi Uferstehung« : (cliquer ici)

« Qui dira les mensonges de l’école, les pages arrachées du livre d’histoire, (…) la honte et la hantise des punitions, le cambriolage des rêves de liberté et de dignité ? Qui dira la sérénité honteuse de nos chefs, leur myopie gluante, leur vertigineuse perspective aérienne de gastéropodes ? (…) Qui dira enfin la douleur du paysan et de l’ouvrier qui n’avaient que cette langue-là … ? Qui dira la ciguë amère de leur silence, dans mon impossible pays entre l’oubli et le musée ? »

Après 1945, le régime parisien a clairement choisi la voie de la violence faite au peuple, au nom d’une vision politique unique, ennemie de la diversité. Quel que soit l’endroit du monde où il a pu s’imposer, ce régime n’a jamais eu pour but le bien-être des populations soumises, mais la défense de ses petits intérêts. La France est une vulgaire puissance coloniale dont l’élévation ne dépasse pas la hauteur du porte-monnaie de ses élites.

Après 1945, l’espoir alsacien n’a pas eu d’autre choix que de descendre dans les catacombes. Exiger le respect de la personnalité alsacienne était systématiquement assimilé à du national-socialisme. Face à ce refus de tout débat démocratique, la question qu’il faudrait se poser est : Comment se fait-il que les Alsaciens soient restés aussi sages ? Mais ceci est un autre débat.

Les Loups Noirs n’étaient pas des idéologues, pas des penseurs, ils n’ont pas agi selon un concept. Dans ces années 70, il n’existait pas de mouvement politique fort, institué, relayé de façon honnête dans les grands médias et représentant la personnalité alsacienne. Tout semblait figé dans l’immobilisme centralisateur, la mouvance régionale était microscopique et ardemment combattue par tous les médias institutionnels à la botte de Paris. Bref, personne n’était là pour recueillir ce mal-être alsacien et le traduire en action politique débouchant sur un réel progrès.

C’était le temps où, à chaque nouveau gouvernement, les médias locaux se faisaient mousser en spéculant sur le nom du « ministre alsacien », qu’est-ce qu’on a pu nous le servir celui-là ! Comme si, dans ce système hypercentralisé, un ministre alsacien pouvait faire quoi que ce soit pour l’Alsace. Mais bon, le ministre alsacien c’était le susucre, le suppo avant d’aller se coucher. Y a un Alsacien au ministère bidule des Territoires, circulez, y a pu rien à voir.

Ces Alsaciens dont le cœur saignait de voir leur langue, leur culture foutre le camp sans que personne là-haut ne prenne leur défense, n’avaient pas de références politiques, car nos élites les avaient trahis. Au milieu de tant de couardise et de passivité, ils ne se sont pas contenté de taper du poing sur la table en disant : »Verdeckel, jetz langt’s!«, ils ont eu les couilles de passer à l’acte.

Alors oui, c’est vrai, ils ont brûlé la baraque musée du Struthof, et c’est pas bien, mais on ne peut évoquer ce crime sans parler du crime subi par Pierre Rieffel lui-même en ce même Struthof. Et que dire du fait que jusqu’à ce jour, les morts du Struthof français sont interdits de mémoire ?

Oui, ils ont utilisé des explosifs, et l’affaire aurait pu très, très mal se terminer : un passant au mauvais moment, un enfant qui passe à vélo, et c’eût été l’horreur. Et c’est pourquoi je rejetterai toujours l’option violente.

Mais ils n’ont pas fait de victimes, et on apprend page 65 du livre de Fischbach qu’ils ont renoncé à faire sauter le monument Jean Macé par respect pour les cendres de celui-ci qui se trouvaient dans le monument ! Est-ce là une attitude de nazis sanguinaires ?

Enfin, au sujet des deux monuments phares qu’ils ont effectivement attaqué, la croix du Staufen, et le cure-dent à la gloire de Turenne, on ne peut pas dire qu’ils se soient trompés de cible, bien au contraire ! Ces deux symboles d’un nationalisme primitif et agressif, érigés sans consultation du peuple alsacien, sont une insulte au bon sens et à la dignité humaine.

Pour toutes ces raisons, maintenant qu’ils ont payé, et plutôt que de les rejeter éternellement dans les bras de leaders de l’extrême droite, je préfère les considérer comme les enfants de notre famille qui n’ont pas supporté les brimades, et qui, parce que personne n’était là pour les écouter, ont mis le feu au tapis sous lequel la république avait balayé notre identité. Oui, ce sont « Nos » Loups Noirs, parce qu’ils font partie de nous, de notre histoire, de nos bleus, de nos bosses et de nos espoirs.

Leur violence appartient au passé, la violence de l’Etat français se poursuit, elle, chaque jour, sans que les Alsaciens puissent s’exprimer sur leur avenir. Mon espoir est que ce grand parti populaire qui aurait dû exister après 1945 et mener la barque alsacienne, devienne un jour une réalité, afin que plus jamais des enfants d’Alsace n’aient recours à la violence. Dans ce but, je ne vois pour le moment pas d’autre solution que de s’unir, tous, lors des élections, sous la bannière d’Unser Land, car il est certain que la dispersion des voix tuera le mouvement et réjouira le pouvoir central.

Si la république française était une démocratie, Pierre Rieffel, René Woerly, Ewald Jaschek, Eugénie Woerly et Augustine Jaschek auraient pansé les plaies de leurs existences bouleversées par la guerre dans un environnement politique apaisé, et remercié chaque jour la France de favoriser le bilinguisme de leurs enfants, et de garantir la prospérité de leur Heimet en protégeant ses droits hérités du passé.

Car contrairement à ce que certains aimeraient encore faire croire, ces hommes et ces femmes ne se sont pas battus pour une quelconque forme de totalitarisme, mais bien pour la liberté de notre Heimat. A l’heure où un président de la république se réjouit que l’Alsace ait disparu, je n’hésite pas une seconde à m’incliner devant le courage de nos Loups Noirs !

Joseph Schmittbiel

Bibliographie :Pour les internautes pressés il y a bien la page Wikipédia dédiée aux Loups Noirs, mais sur ce genre de sujet sensible, on ne peut guère faire confiance à cette encyclopédie variable au gré du vent…

Mieux vaut se rabattre sur les références solides :

Les Loups Noirs / Autonomisme et terrorisme en Alsace
Bernard Fischbach et Roland Oberlé éditions Alsatia – Union 1990

Une histoire de l’Alsace, autrement
Bernard Wittmann éditions Rhyn un Mosel 1999 Tome III pages 237 à 253