
C’est une œuvre considérable que Bernard Wittmann nous livre, un ouvrage qui vient à son heure, car rien d’équivalent n’a été tenté en Alsace jusqu’à présent, le sujet étant tabou.
C’est par ces mots que Roland Oberlé, historien, conservateur en chef du patrimoine et auteur de nombreux alsatiques sur l’histoire de l’Alsace1, nous présente, dans sa courte préface, le nouveau livre de Bernard Wittmann. Ce compliment, largement mérité, venant de la part d’une telle pointure historique, est une consécration.
Wittmann fait pourtant preuve, dès l’introduction, d’une modestie qui l’honore : […] je ne suis pas un spécialiste de l’histoire médiévale de l’Alsace qui aurait passé son temps à éplucher les chartes et les textes latins du Bas-Empire et du haut Moyen Âge, déclare-t-il. Son livre s’appuie sur les travaux d’experts, historiens, linguistes et archéologues, qui ont traité les premiers siècles de l’histoire de l’Alsace. Et les nombreuses notes de bas de page qui s’égrènent tout au long de l’ouvrage, le démontrent.
Si l’on considère que l’historien est quelqu’un qui travaille sur les documents originaux, « Nos ancêtres les Alamans » n’est donc pas à proprement parler un travail d’historien. Alors pourquoi Oberlé parle-t-il d’une « œuvre considérable » ?
C’est parce que Wittmann reconstitue l’histoire des Alamans sur la base de sources très nombreuses et que le sujet est vaste et complexe. Des historiens romains, allemands, français, suisses et j’en passe ont évoqué les Alamans. Et comme nous parlons d’une science qui évolue, les traitements, des plus récents aux plus anciens, ont été des plus divers : entre l’universitaire du XXIe siècle, qui a sa propre conception de la « neutralité », et le chroniqueur du Moyen Âge, tributaire de son seigneur, les narrations ne sont évidemment pas les mêmes.
Le livre traite une période de quinze siècles, dont certains sont très peu documentés, et durant lesquels les régimes et dynasties se succèdent, avec des monarques qui changent de nom lorsqu’ils deviennent empereurs, des batailles dont on ne peut plus dire si elles se sont déroulées en un jour ou si elles se sont étalées sur dix ans… Bref, c’est un travail de synthèse colossal que Bernard Wittmann nous livre ici.

« Rien d’équivalent n’a été tenté en Alsace jusqu’à présent » !
Comme l’écrit l’auteur en introduction, le projet de ce livre est né d’un constat. Les Alamans, qui occupent une place si fondamentale dans notre histoire, ne font l’objet d’aucune étude ni recherche sérieuse, aucun musée ne leur est consacré, aucune fiction ne les fait revivre, l’école et l’université les ignorent, bref, ils sont totalement absents de l’imaginaire alsacien. Pire que cela, non seulement ils croupissent aux oubliettes, mais, dès qu’il est question d’histoire ancienne, ce sont les Romains que l’on met en avant !
Et l’auteur évoque cette couverture de « Saisons d’Alsace » de 2017 qui titre « Nos ancêtres les Romains », les « fêtes gallo-romaines » célébrées ces dernières années en Alsace, l’érection de monuments dédiés à des gloires romaines, mais aussi la « préférence » de bien des historiens pour l’option celte qui permet de mieux intégrer l’Alsace dans l’« histoire de France ».
A ce sujet, sa narration du traitement réservé aux Triboques à travers les siècles est passionnante (p. 67-76). Wittmann raconte ici l’histoire de l’histoire. Les Triboques ont été considérés par tous les historiens romains qui les évoquent comme des Germains. De même, les historiens tant allemands que français étaient d’accord sur le sujet. Mais ces dernières années, la mode est de les faire passer pour des Celtes ! C’est un peu comme si les pays scandinaves ignoraient volontairement l’existence des Vikings ou les faisaient passer pour des peuples slaves. Dans certaines têtes, les racines germaniques de l’Alsace ne passent toujours pas…

Roland Oberlé ne parle pas de « sujet tabou » par hasard. En effet, ce qui, dans nombre d’esprits, se profile de façon inavouée derrière le mot « Alamans », c’est bien entendu l’ombre de l’« Allemand » ! du « Boche » ! du « Reich » ! Faire honneur aux Alamans, c’est donc risquer de passer pour un mauvais Français : un cauchemar pour tout ACB2 qui se respecte.
J’invite le lecteur à imaginer une salle où, en 2021, on réunirait tous les maires et élus alsaciens et dans laquelle on poserait cette question au micro : « Lesquels d’entre vous sont prêts à organiser dans leur circonscription une fête des Alamans, e Allemannefescht!, avec défilé en costumes historiques, conférences en collaboration avec les trois musées des Alamans de Baden-Württemberg3, ateliers de confection de bijoux alamans etc. » Je suis prêt à parier que, dans le silence qui suivrait, on entendrait bourdonner les drosophiles.
Liberté de ton et courage de son opinion
Il était donc nécessaire que quelqu’un s’attelle à cette tâche et on peut se réjouir que Wittmann se soit lancé dans l’aventure, car l’homme n’en est pas à son coup d’essai.
Son premier ouvrage, en trois tomes, sort en 1999. A l’époque, l’internet n’est pas encore un moyen de communication de masse, les médias traditionnels, journaux, télés, radios, règnent toujours sur l’information, l’autonomisme est un tabou et le Rot un wiss un « symbole de l’extrême droite ». La sortie d’« Une histoire de l’Alsace, autrement / E Gschicht zuem Iwwerläwe » fait alors l’effet d’une bombe.
On découvre un historien de l’Alsace engagé, qui écrit la colère au ventre et rompt avec la sacro-sainte « neutralité » du professionnel de l’histoire. La démarche peut se résumer ainsi : « Paris inculque à nos gosses une histoire frelatée qui dissimule des pans entiers de vérité ? Eh, bien, on va leur servir une nouvelle version, un point de vue alsacien ! ».
Nombre de lecteurs, et non des moindres, reconnaissent que Wittmann a raison. Car même si le propos est véhément, même si son but est de réveiller les consciences, il ne manque jamais de donner ses sources, de rappeler des faits, gommés par d’autres, et de dénoncer les petits arrangements du roman national français avec la réalité. Bien des militants d’Unser Land se sont ouverts à la cause alsacienne après avoir lu Wittmann.
Une bonne douzaine de livres ont suivi depuis, toujours avec ce souci de mettre en lumière ce que l’Education nationale française, les médias subventionnés et les politiques ont systématiquement balayé sous le tapis. Il ne fait aucun doute que, par sa liberté de ton et le courage dont il a fait preuve, Wittmann a influencé le traitement de l’histoire de l’Alsace. Il a libéré une parole : depuis Wittmann, on ose beaucoup plus qu’avant.
Nul doute qu’il en sera de même pour les Alamans. Car ce nouveau livre va donner aux Alsaciens l’occasion de se familiariser avec un peuple qu’ils ne connaissent pas, alors même qu’il a fondé leur pays.
Joseph Schmittbiel
Nos ancêtres les Alamans, fondateurs de l’Alsace
Bernard Wittmann
Yoran Verlag, 2021, 510 pages, 22 €.
Disponible chez votre libraire habituel ou sinon directement chez l’éditeur.
https://www.yoran-embanner.com/livres-histoire/522-nos-ancetres-les-alamans.html
1 : On lui doit entre autres : Les loups noirs, autonomisme et terrorisme en Alsace en 1990, La vie quotidienne des chevaliers alsaciens au Moyen Age en 1991, Juifs d’Alsace et Alsaciens en 2003, Napoléon et l’Alsace en 2005, La Marseillaise, histoire d’un Mythe en 2016.
2 : ACB = Alsacien conformiste de base.
3 : Qui se trouvent à Vörstetten, Ellwangen et Weingarten.
0 commentaires