Né en Alsace à Mulhouse début 1954, ce n’est qu’en 1975 que l’alsacien que je suis découvre que dans « sa » région, ce n’était pas seulement le dialecte qui était du chinois pour les « gens de l’intérieur », mais qu’il existait une autre particularité que même l’alsacien-mosellan ne comprend pas lui-même, le Droit local Alsacien-Mosellan.
Pourtant l’Alsace est une région de l’hexagone « France » où la loi est écrite en français depuis François 1er (ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539). Or dans les 3 départements du 57, 67 et 68, la multitude de textes de lois de l’empereur-roi de Prusse Wilhelm a été maintenue en vigueur dans sa langue d’origine écrite en gothique germanique après la capitulation de l’empire germanique de 1918 et le traité de Versailles de 1919.
De nombreux Alsaciens pensent que le droit local est limité à quelques exceptions, par exemple, les 2 jours fériés et les remboursements de la Sécurité sociale à 90 %, mais il existe, en réalité, de très nombreuses particularités, nous y reviendrons.
Ces textes étrangers, encore en vigueur aujourd’hui, ont été actés par différentes lois françaises de 1918 à nos jours comme par les 2 lois du 1er juin 1924 (civiles et commerciales).
Il suffit de lire les premiers articles de chacune de ces 2 lois françaises pour comprendre que beaucoup de textes étrangers illisibles ont été maintenus par la France après 1914-1918.
Autre curiosité, ces lois d’empire priment sur le droit français en cas de conflit entre un Texte français et un Texte d’empire. (dixit les lois de 1er juin 1924)
La première fois que j’ai découvert cela, c’était en 1975, lors d’une discussion avec un copain de formation, qui était beaucoup plus âgé que moi. Je lui dis que j’étais dans un groupe de sportifs amateurs et que nous envisagions de créer une association « loi 1901 ». Il a sursauté et me répond en alsacien strasbourgeois « Des Guets Net ! ». En phonétique se prononce « Dèss Guétts Nétt ! » et, traduit en français « pas possible, ça n’existe pas ! ».
Au début, j’ai cru qu’il se fichait de moi et inventait un truc, mais la semaine suivante, il m’a rapporté un petit fascicule traitant de l’association de droit local en vigueur dans les 3 départements du 57, 67 et 68.
Elle n’est pas pareille que les associations françaises dites de 1901 et beaucoup de choses divergent entre les deux.
Spécialiste des chiffres, il m’a dit que la différence entre les deux associations se situait également dans certains points de fiscalité, mais je n’ai pas recherché.
Un comble pour un alsacien, parlant l’alsacien avant de parler français, c’était à 21 ans, mon premier contact avec une des particularités juridiques en vigueur encore aujourd’hui en Alsace-Moselle.
Quand j’étais à l’école dans une petite commune alsacienne, que ce soit au primaire ou au secondaire, je n’ai jamais entendu parler de ce droit local. Le seul souvenir que j’ai de ces années, c’est que l’alsacien était mal vu, car si on parlait alsacien dans la cour de l’école, on se prenait une colle.
Pour les 2 jours fériés, je me suis souvenu que mon père allait ces jours-là acheter le pain en France chez les « Walscha » (traduction littéraire « étrangers ») à 5 km de chez moi après l’ancienne frontière d’avant 1918 qui séparait l’empire germanique et la « vieille France ».
À l’époque, je ne faisais pas le lien avec le droit local, car dans les pays limitrophes que sont l’Allemagne et la Suisse, les magasins sont également fermés ces jours-là comme en Alsace.
Longtemps après cette discussion sur l’association, ce n’est qu’après les années 2000 que j’ai découvert au fil des années qui suivirent, ce qu’était en réalité le droit local alsacien-mosellan.
Je me souviens qu’en 2007 ou 2008, je suis allé voir un avocat parisien et lui montre un document authentique dans lequel il était écrit « Suivant l’article 797 CPCL… » et lui demande s’il connaissait la signification de « CPCL » et l’art 797. Au bout d’une 1/2 heure, il n’avait pas trouvé et a abandonné ses recherches. Il a refusé de venir plaider en Alsace, car « c’est compliqué ».
Bien 10 ans plus tard, j’ai trouvé que « CPCL » signifie « code de procédure Civile local ».
Le droit français est déjà pas mal compliqué, mais si on y rajoute là-dessus, un droit étranger signé par le roi de Prusse et appelé Le Droit local Alsacien Mosellan, cela devient une véritable pétaudière juridique où personne n’y comprend rien. Sauf bien entendu quelques sachants qui en font leur joujou.
Pour exemple, le pourvoi immédiat, dans la législation française : quand on parle de pourvoi, on parle Cassation, mais en droit local un pourvoi est une contestation devant le juge unique qui a rendu sa décision.
Donc textes totalement discrétionnaires, tout comme la procédure civile locale devant le tribunal d’instance. Certaines affaires, notamment dans le cas de différends sur un patrimoine, se traitent en débat contradictoire dans la justice civile française devant des magistrats. La même affaire, si elle était traitée en Alsace, ne sera pas contradictoire et sera traitée devant un magistrat unique.
D’où vient cette différence ?
Le Code de procédure civil français a dans son « annexe » (voir les derniers paragraphes avant la fin du CPC) maintenu une procédure d’empire et elle sera traitée en procédure dite gracieuse c.-à-d. au lu de ce même CPC non contradictoire. En d’autres termes, le juge peut appeler une partie, s’il éprouve besoin d’un éclaircissement sur un point particulier ou être expéditif.
Quand on regarde ce qu’englobe l’annexe du CPC, cela fait froid dans le dos, car une bonne partie des affaires patrimoniales des Alsaciens-Mosellans se traitent en non contradictoire (partage judiciaire, exécution forcée, etc.) avec un notaire alsacien ou mosellan, qui d’ailleurs fait le travail de certains juges dans le droit français.
Si la loi française est déjà vaste et souvent compliquée, elle se complique bien plus pour les spécificités décrites dans les articles des lois du 1er juin 1924.
Prenons par exemple la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales dans les 3 départements Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle.
L’article 5 de cette loi traite des sociétés coopératives et de la loi du 1er mai 1889.
Tout alsacien connaît la « Kanssa » (Caisse) à savoir la caisse de Crédit Mutuel (CCM) de son village. Aux dires de beaucoup, la Caisse serait une association.
Or, celle-ci est une Association Coopérative Inscrite à responsabilité limitée (rarement illimitée). Donc, cette association coopérative inscrite est une association particulière qui n’existe pas sous cette forme juridique en France.
Cette association relève de la loi d’empire germanique du 1er mai 1889 avec ses spécificités bien particulières quant à son fonctionnement.
On remarque donc, au lu de cette loi, que la Caisse CCM, est un commerçant, que les « sociétaires » sont associés, que ces associés sont engagés sur leurs deniers CCM à hauteur d’un certain montant. Son secteur d’intervention est géographiquement restreint. Tout comme certaines autres banques coopératives, elle ne peut faire des prêts qu’à ses sociétaires après achat d’une part sociale.
Donc, qui dit commerçant, dit Code du Commerce. Ben oui et non, les statuts, etc. sont déposés au Greffe des Associations Inscrites du tribunal d’instance du lieu de juridiction de la caisse (Mulhouse, Colmar, Strasbourg, etc.) qui a charge de faire office de registre du commerce et gérer les commerçants sous forme d’« Associations Coopératives Inscrites ».
Elle a une immatriculation spéciale qui correspond à celle que le Greffe du TI a donnée et non un numéro RCS.
Autre curiosité, on ne trouve rien sur Infogreffe ou autres, on ne peut accéder aux renseignements, il n’y a rien, alors qu’un commerçant d’Alsace, de la Moselle, de Normandie ou d’une autre région française, est normalement immatriculé au registre RCS et les renseignements sont accessibles (gérant, Conseil d’administration, etc.).
En Alsace, pour avoir un renseignement, il faut faire la demande au Greffe du TI, se déplacer, et s’il n’est pas trop tatillon, ce qui n’est pas exclu, il vous montre les documents pour que vous les consultiez sur place. Donc, si vous habitez loin, c’est galère pour avoir un renseignement, si le juge chargé de ce registre n’est pas très coopératif.
À noter que tout n’est pas enregistré au Greffe du TI, la liste des membres des conseils de surveillance des Assoc. Coop. ne sont pas à déposer. Donc inconnus du Greffe et du public.
Le Code du Commerce oblige chaque commerçant à mettre sur ses papiers commerciaux son immatriculation, etc.. Cela est rarement fait, car ça relèverait du droit des associations inscrites et non du Code commercial français.
Au Bodacc, il n’y a pas de parution, les modifications statutaires sont déposées au Greffe du TI et la parution se fait dans un journal local accessible (comme la gazette viticole et agricole.)
On a vu que la loi locale, intervenant sur les associations coopératives, comprend quelques particularités, qui sont entretenues discrétionnairement.
En 1958, l’État français a rajouté une couche dans ce système qui était déjà un mille-feuille juridique.
Avant 1958, les « Kanssa » CCM étaient des banquiers indépendants, or une ordonnance (58-966) en a modifié la gouvernance.
Les Caisses de Crédit Mutuel, pour conserver leur statut de banque, étaient obligées de s’affilier à une Confédération nationale de Crédit Mutuel, via une fédération régionale.
Et donc la « Kanssa » alsacienne s’est affiliée, par obligation, à la confédération, qui est une association loi 1901, dont le siège est à Paris, et la fédération régionale, qui est une association de droit local dont le siège est à Strasbourg.
On comprend maintenant pourquoi on ne dit plus caisse de Crédit Mutuel, mais tout simplement Crédit Mutuel et ce n’est pas la pub radio ou télévision qui va nous faire dire le contraire.
Bref, on a compris avec ces quelques lignes, que tout n’est pas particulièrement limpide, le flou entoure fréquemment, ce qui est soumis au droit local.
Or le droit local ne se limite pas seulement aux exemples ci-dessus, beaucoup de monde dans les 3 départements est concerné par le Droit local d’empire de la période 1870-1918 resté en vigueur pour n’en citer que quelques-uns (liste non exhaustive)
- Le particulier (biens, travail, etc.)
- la propriété (livre foncier, etc.)
- le mandant et mandaté (mandat, procura, vérification du juge, etc.)
- certaines banques, et d’autres secteurs de distribution de biens notamment d’origine agricole à statut spécial de Droit Local (Greffe TI, etc.)
- le commerçant, l’industriel, l’indépendant (Chambre commerciale, etc.)
- l’association sportive ou autre (Greffe TI)
- l’enseignement (religieux, moralité, etc.)
- le fonctionnaire (retraite d’office par maladie, logement pour certains, etc.)
- les lieux de cultes « reconnus » (gestion, propriété, etc..)
- le clergé des cultes « reconnus » et certains de ses salariés (payé par l’Etat, nomination, etc.)
- les fondations (surveillance, etc.)
- la commune (conseil, patrimoine, etc.)
- la justice (fonctionnement, procédure, frais, etc.)
- avocat (postulation, etc.)
- huissier (charge judiciaire vénale, etc.)
- le notaire (charge judiciaire vénale, honoraires, etc.)
- la faune (chasse, oiseaux, police, etc.)
- Etc..
La liste est longue, le droit local Alsacien-Mosellan est inépuisable.
Des textes du Droit local Alsacien-Mosellan ont été traduits en mai 2013 et août 2013 à titre documentaire. Ces 2 traductions de env. 100 et 520 pages sont consultables ou téléchargeables sur les sites des préfectures des départements du 57, 67 et 68.
Cette traduction en français à titre documentaire (qui aurait dû être faite en 1924, mais ne l’a jamais été), fait suite à une remarque du Conseil Constitutionnel de 2012, qui a vu arriver sur son bureau un texte en allemand littéraire, donc déjà traduit du texte d’empire écrit en gothique illisible.
L’Institut du Droit local Alsacien Mosellan (IDL-AM) a plusieurs étagères remplies de textes du droit local A-M. Ces étagères représentent des centaines de fois plus de pages que celles traduites en 2013.
Serait-ce des vestiges abrogés et sans intérêt du droit local Alsacien-Mosellan, qui auraient plus leur place à disposition des chercheurs et historiens à la Bibliothèque Nationale de France ?
Ou bien, ce Droit local Alsacien-Mosellan serait-il bien plus vaste et secret faisant que certains sujets ou domaines en empêcheraient sa vulgarisation ?
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