La voix de Michel était lugubre au téléphone. En trente-cinq années d’amitié, je ne l’avais jamais entendu parler comme ça.
« Tu peux venir ? Faut que j’te dise un truc… non, pas au téléphone. »
Sa mère était décédée la semaine précédente. Lui, le fils unique, désormais orphelin à 49 ans, avait beaucoup pleuré à l’enterrement, mais déjà, au repas des funérailles, il avait retrouvé sa bonne humeur, on s’était même bien marrés au dessert. Et là, huit jours plus tard, il me fait venir chez lui.
Il m’accueille dans un véritable capharnaüm. Tout le salon jonché de classeurs, de vieux albums photos et de paperasses. Et au milieu, mon Michel, assis sur la table basse, le dos courbé, comme un boxeur qui se remet d’un K.-O. Il me tend une liasse de feuilles : « Tiens, lis… ».
Il est incapable d’en dire plus, alors je me plonge dans la lecture. Je reconnais d’abord l’en-tête du notaire et rapidement je comprends : il a appris que ses parents n’étaient pas ses parents biologiques, il est un enfant adopté…
Les mensonges renferment un énorme potentiel destructeur. Cacher une vérité, même anodine, peut, des années plus tard, détruire un homme. Un détail peut changer toute une vie, toute une histoire. Et il en va de même pour les peuples.
Nous connaissons tous cette fable ridicule : « nos ancêtres les Gaulois », enseignée pendant des décennies dans les colonies françaises, révélatrice d’une arrogance inouïe, d’une négation de l’autre dans ce qui fait son originalité, sa particularité, en un mot : son histoire.
« Qui suis-je vraiment ? » est l’une de ces questions fondamentales que se posent tous les êtres humains. Et il va de soi qu’une partie de la réponse, qu’on ne saurait en aucun cas ignorer, se trouve dans l’histoire individuelle, familiale, mais aussi collective.
Alors, « nos ancêtres les Gaulois », vrai, pour nous autres Alsaciens ? Certainement. Mais en partie seulement, les Romains ont également forgé une bonne part de notre histoire ancienne. Nos archéologues et universitaires ne se privent pas de les mettre en avant à longueur de publications.
Mais certains de nos ancêtres restent les oubliés de l’histoire, certains peuples, posés là comme un éléphant au milieu du couloir et que tout le monde ou presque ignore soigneusement. Je parle bien sûr des Germains en général et des Alamans en particulier. Et il n’y a pas qu’eux. Où est le Saint Empire romain germanique dans notre imaginaire ? Nous avons été ses sujets pendant sept siècles !
Combien d’Alsaciens savent que la première annexion de l’Alsace par la France s’est étalée de 1648 à 1681 et n’a été qu’une succession de pillages, de massacres, de destructions par le feu de villes et villages entiers, et s’est terminée par l’annexion pure et simple de la ville libre de Strasbourg ?
Combien de mensonges par omission, de falsifications, au sujet de notre passé ? Tous nos monuments aux morts de la Première Guerre mondiale qui arborent la liste des disparus mentent. Les Hans, les Fritz, les Lorenz y sont systématiquement devenus des Jean, des Frédéric, des Laurent. Leurs vrais prénoms ne cadraient pas bien avec le nouveau pouvoir. Enseignera-t-on aux enfants d’Alsace un jour que le régime parisien a mené, de 1919 à 1922, une épuration ethnique dans notre Heimat ?
Et que s’est-il réellement passé à la Libération, en 1945 ? Pourquoi La République a-t-elle rouvert les camps du Struthof et de Schirmeck ? Et comment y a-t-elle traité ses prisonniers ? Pourquoi y a-t-il eu tant de honte dans la population alsacienne ? Honte de soi, de ce que l’on est, au point d’abandonner la langue de ses anciens ?
Les Alsaciens d’aujourd’hui, dans leur grande majorité, sont monolingues. Ils ne connaissent pas leur histoire. A peu de choses près, ils se sentent français au même titre qu’un Bordelais, un Tourangeau ou un Tahitien. Ils ont oublié les libertés régionales que leurs générations précédentes ont obtenues de haute lutte. Enfin, ils laissent l’école nationale enseigner à leurs enfants qu’ils sont des Grandestiens. Lentement mais sûrement, ils laissent mourir ce qui faisait leur personnalité et leur originalité.
Michel ne s’est jamais vraiment remis de ce choc. Il est d’abord tombé dans une profonde dépression, puis, petit à petit, il a perdu toute volonté, tout goût à la vie. On l’a enterré dix ans plus tard.
Les mensonges historiques fonctionnent sur le même mode : ils tuent à petit feu.
Liens et références :
- LE dossier d’Eric Ettwiller que tout Alsacien devrait avoir lu. (PDF a télécharger)
- Nos ancêtres les Alamans, fondateurs de l’Alsace
- Liberté, égalité… Déportées ! de Anne Marie Hils (traduction de Jean Louis Spieser)
- Alsace : des questions qui dérangent
Bien sûr qu’on est principalement des Alamans posés sur des Celtes (gaulois), mais pas forcément ceux qu’on croit vu le repeuplement après la guerre de 30 ans.
Alamans pour ceux venus de Suisse allemande, Rhètes pour les tiroliens, branche orientale des Francs. Après la Forêt de Haguenau on trouve des Francs de l’ouest ceux-là comme au Palatinat, à Cologne, en Moselle ou au Luxembourg, les “Plat”.