On entend de plus en plus parler de dédollarisation ou de l’avantage indu que procure l’utilisation du dollar comme monnaie mondiale de référence aux Américains.

Essayons de comprendre les mécanismes en jeu.

Il semble utile de revenir sur la genèse de la dollarisation du monde qui commence après la Seconde Guerre mondiale. L’économie des États-Unis sort de la guerre confortée dans sa position d’économie la plus puissante au monde avec une industrie en croissance rapide et ayant accumulé de nombreux capitaux (dont beaucoup d’or  — ils détiennent les deux tiers des réserves mondiales d’or). Les États-Unis n’avaient pas été dévastés par les bombardements et autres joyeusetés de la guerre chez les autres. Au contraire, ils s’étaient enrichis en vendant des armes aux Alliés et en leur prêtant des fonds. Si certains se demandent toujours comment Hittler a pu financer son armée, il serait judicieux de jeter un œil vers l’élite très riche des États-Unis…

Il faut dire qu’en 1945, au sortir de la guerre, la production industrielle des États-Unis a doublé par rapport à ce qu’elle était juste avant la guerre. Au contraire, l’Europe et l’Extrême-Orient sont ruinés militairement et économiquement.

Les accords de Bretton Woods de 1944

C’est dans ce contexte que les États-Unis ont organisé la conférence de Bretton Woods du 1er au 22 juillet 1944 dans le but d’imposer le dollar au « monde libre » (on verra qu’en fait, par ce procédé, les États-Unis enchainaient ce monde libre…) en présence de 730 délégués représentant l’ensemble des 44 nations alliées, y compris une délégation soviétique qui ne participera qu’aux travaux préparatoires, mais non à la conférence elle-même.

C’est Pierre Mendès France qui représente et défend les intérêts de la France en essayant de porter le projet défendu par John Maynard Keynes visant à créer une véritable monnaie internationale (appelée Bancor) définie par rapport à l’or selon un taux variable. Bref, un système qui n’est pas à l’avantage exclusif des Américains. Mais comme indiqué, ce sont les Ricains qui organisent, qui ont la plus grosse partie de l’or de la planète, une économie florissante, qui, signalons-le, dépend déjà de l’exportation… Il leur faut donc un marché mondial.

Petite parenthèse concernant Pierre Mendès France, dont beaucoup voient en lui un « perdant » qui n’aura jamais réussi à imposer sa vision dans le monde. Et c’est bien dommage, car l’homme est intègre, droit et a d’excellentes idées qui, si elles avaient été adoptées, nous auraient conduit dans un monde bien différent aujourd’hui. Ultime épreuve pour ce brave homme, son petit fils, Tristan, pseudospécialiste des fake news, devenu grand pourfendeur de ceux qu’il appelle les « complotistes », mais qui s’avère être à la solde des puissances que son grand-père combattait. Fermons la parenthèse…

Nous en étions donc à Bretton Woods en 1944 et au fait que c’est le dollar qui s’est imposé comme monnaie mondiale. Signalons aussi que c’est aussi là que naissent le FMI et la Banque Mondiale. L’OMC était aussi en discussion, mais faute d’accord, devra attendre 1979 pour naître et contribuer à exploiter les pays pauvres…

La suite est une période heureuse. La fin de la guerre et les trente glorieuses. On ne le dit jamais, mais vous remarquerez que ces années prospères l’ont été pendant que le monde est doté d’un système monétaire adossé à l’or, puisque le dollar est toujours adossé à l’or durant ces années. Et tous nos retraités d’aujourd’hui ont connu cette période, sans même comprendre que c’est l’adossement à l’or, c’est-à-dire grâce à une monnaie ancrée dans le réel, que ça a été possible.

Oui, parce que, pour faire court, quand vous avez la possibilité d’imprimer la monnaie, ben, la tendance naturelle et humaine, c’est d’en abuser. Et les Américains n’y sont pas allés avec le dos de cuillère. Peut-être qu’un jour nous saurons si la FED, la Banque centrale américaine, a joué un rôle précis dans ces abus, au profit de ses actionnaires. Rappelons que la FED, contrairement à ce que beaucoup croient, n’est pas un organisme public, mais bel et bien un consortium de banques privées.

L’histoire raconte que De Gaulle voulait envoyer une frégate déposer les dollars que la France avait dans ses coffres pour revenir avec l’équivalent or. Valéry Giscard d’Estain, dans l’un de ses livres, confirmera le propos, mais précisera toutefois que ça ne s’était jamais fait. Bref, les Américains usent et abusent de la planche à billets, et se heurtent à ce que l’on appelle aujourd’hui le dilemme de Triffin.

Alors, accrochez-vous… Tout d’abord, précisons que le dilemme ou paradoxe de Triffin a été conceptualisé par Robert Triffin dans « Gold and the Dollar Crisis: The Future of Convertibility (1960) ». Que dit-il ? En gros, c’est qu’un pays qui possède une monnaie de réserve internationale comme les États-Unis avec leur dollar doivent obligatoirement avoir un déficit commercial (donc acheter plus à l’étranger que le pays ne vend à l’étranger) pour que ça monnaie soit détenu par d’autres agents économiques non résidents (pays, entreprises, particuliers). Le problème, c’est que si le pays est constamment en déficit, ces mêmes agents vont perdre confiance dans la monnaie du pays, ce qui accélère la fin de son statut hégémonique. Et c’est exactement ce qui va se produire.

Dans un premier temps, le dollar va cruellement manquer aux pays qui sortent de la guerre, car la reconstruction crée d’énormes déséquilibres commerciaux. Dès lors, les États-Unis amassent excédent sur excédent. Cette réalité affaiblit dangereusement les réserves de change des autres pays. Washington, toujours très opportuniste, lance le plan Marshall qu’on nous présente comme un grand cadeau des États-Unis, alors que sans lui, jamais le dollar ne serait devenu la référence mondiale, du moins, pas si vite.

C’est qu’ainsi qu’entre 1947 et 1955, quinze pays, en plus de la France souscrivent au plan Marshall : L’Autriche, la Belgique, le Danemark avec les îles Féroé et le Groenland, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie avec San Marin, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal avec Madère et les Açores, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et le Liechtenstein et la Turquie. Ces pays seront rejoints par l’Allemagne et le territoire de Trieste (Italie) en 1949. ils recevront des États-Unis près de 24 milliards d’aides civiles. Comme la guerre froide avec l’URSS vient de commencer, ils recevront aussi 12 milliards de dollars d’aides militaires. Rappelons une fois encore que cet argent sort du néant (ex nihilo), que les Américains l’ont juste créé, sans se priver ou taper dans leurs économies.

Avec le renouveau de l’Europe et du Japon, l’Amérique émet de plus en plus de dollars, sans pour autant augmenter la quantité d’or qu’elle devrait avoir dans ses coffres. Au contraire, elle détenait 66 % de l’or mondial en 1946, elle n’en détient plus 24 % en 1971. Plus assez, pour couvrir tous les dollars qu’elle a imprimés. La guerre du Vietnam et la course à l’espace (les Américains ont-ils été réellement sur la lune ?) feront passer le montant des dollars en circulation à 46 milliards en 1970.

Fin de l’adossement du dollar à l’or

Ce sont les Allemands qui siffleront la fin de la partie des accords de Bretton Woods de 1944 en demandant le remboursement des dollars excédentaires, obligeant le Président Nixon à décrocher officiellement le dollar de la convertibilité de l’or le 15 août 1971, privant le monde d’un système monétaire international. Ceci n’empêche pas l’Amérique d’avoir à dévaluer sa monnaie par la suite.

Là, il faut comprendre ce que cela signifie. Imaginez que vous êtes obligé de travailler avec une monnaie qu’on vous a imposée au motif qu’elle était solide comme le roc, puisqu’adossée à l’or. Ça signifie donc que les dollars que vous avez dans votre coffre valent leur pesant d’or. Or, en décrochant le dollar de l’or, non seulement, vous voyez la quantité d’or à laquelle vous pouviez prétendre fondre comme neige au soleil, mais en plus, avec la dévaluation qui a suivi derrière, vos billets valent encore moins… Il y a de quoi l’avoir amère, n’est-ce pas ?

Les accords de la Jamaïque de 1976

Pour la faire courte, les accords de Jamaïque vont instaurer le système de change flottant et mettre fin au rôle du dollar adossé à l’or.

Les Européens tenteront de créer leur propre système monétaire avec le fameux Serpent monétaire européen. Mais les spéculateurs (américains ?) contribueront très vite à y mettre un terme. Qu’importe, la dynamique d’une monnaie européenne était lancée.

Au niveau mondial, pourtant, le dollar va réussir à s’imposer au reste du monde. Comment donc les Américains s’y sont-ils pris pour imposer le dollar aux autres pays ? Tout simplement en concluant un accord bilatéral avec l’un des principaux, sinon le principal producteur de pétrole au monde à ce moment-là, à savoir l’Arabie Saoudite. Un simple accord de six pages qui stipule que l’Arabie Saoudite n’acceptera plus que le dollar comme monnaie de paiement de son pétrole. Par la suite, et tout naturellement, le dollar est devenu la monnaie de référence pour toutes les matières premières, on connait la suite.

L’instauration du système monétaire actuel qui donne aux banques (entités privées) le pouvoir de créer de la monnaie (un pouvoir régalien) relève d’une puissance qui n’a rien à voir avec les états et qui joue avec les états. Pourquoi Kennedy a-t-il été assassiné ? De la même manière, l’instauration du dollar comme monnaie de référence mondiale a été un coup de force imposé par ceux qui dirigent les marionnettes qu’on prend pour des dirigeants, à tous les pays du monde. Qu’on se souvienne de ceux qui ont essayé de remettre le dollar en question comme Mouammar Kadhafi ou Saddam Hussein. Bref, tout n’est par vert au pays du dollar.

Pour les Américains, le dollar est une arme de domination du monde. Tels des parasites, ils « croquent » pour ainsi dire sur chaque transaction mondiale. En effet, quiconque veut acheter du pétrole doit d’abord se procurer du dollar et donc payer, en général sous la forme d’un crédit, sa dîme aux États-Unis. Pour limiter le grognement des mécontents, notamment les pays en « voie de développement », rien de tel qu’une armée qu’on présente comme invulnérable et des bases militaires dans tous les recoins du monde. D’ailleurs, si vous ne comprenez pas pourquoi les Allemands sont si dociles vis-à-vis des Américains, n’oubliez pas qu’ils ont encore 25 bases militaires sur leur territoire, donc la plus populaire, Ramstein Air Base.

Le début de la dédollarisation

Mais cette domination commence à être remise en question. De plus en plus de pays n’en peuvent plus d’être à la botte des US et rêvent d’une autre solution. Hélas pour eux ils sont trop petits pour s’attaquer au States. Mais voilà que les Russes, qui en ont aussi marre de la domination du dollar, n’acceptent plus de voir l’OTAN s’approcher de plus en plus de ses frontières. La suite, on la connait, c’est la guerre d’Ukraine, sur laquelle nous allons aussi bientôt faire un article. Et là, les Américains vont commettre une erreur qui va sans doute leur être fatale : ils coupent le système du dollar (Swift) aux Russes et gèlent leurs avoirs dans le monde occidental.

Déjà que les autres pays avaient du mal avec ce système, là, ils découvrent, un peu pantois, qu’en fait, le droit international ne compte pas face aux humeurs des Américains… C’est un peu la douche froide. Qui aimerait évoluer dans un système où les règles établies sont allégrement détournées par le plus fort qui peut, sans avoir aucun compte à rendre à quiconque, décider de vous exclure du jeu mondial et vous priver de vos richesses à l’étranger ?

C’est là que la Chine, l’Inde et d’autres pays des Brics, ou déjà en guerre avec les États-Unis vont faire fort. Non seulement ils vont refuser de jouer le jeu des Américains en imposant des sanctions aux Russes, mais ils vont en plus faire de belles affaires avec eux, avec des paiements dans les devises des pays respectifs. Dehors, le dollar… La dédollarisation est en cours.

Disons-le d’emblée, ce n’est qu’un tout petit début, mais c’est quand même un début. De plus en plus de pays se défont des bons du trésor américain qu’ils détiennent au profit d’autres monnaies et de l’or. Les Chinois ont même mis en place un mécanisme qui permet de convertir le yuan directement en or à la bourse de Shanghai. Imaginez que vous êtes le patron d’une société et que vous avez le choix entre le dollar et le yuan. Pour le premier, vous êtes obligé de vous soumettre aux «règles» américaines et prié de croire la promesse des Américains de vous payer un jour… Pour le second, le yuan, donc, vous pouvez le convertir en or et vous êtes à l’abri de sanction ou d’exclusion, sous la protection du (vrai) droit international.

Pour faire un parallèle plus compréhensif, les pays du monde sont dans une situation que beaucoup d’entres-nous connaissent ; quand on a un fournisseur de longue date, disons un assureur, que vos parents avaient déjà, qui connait la famille, qui vient à la maison et à qui on a confié tous les contrats. Voilà qu’un jour, on obtient un devis concurrent, comme ça, pour voir, et on découvre que notre sympathique assureur est bien gentil, mais qu’il est deux fois plus cher que ce concurrent… Dilemme ? Va-t-on privilégier l’humain, la relation, et juste lui demander d’ajuster son prix ou le quitter pour l’autre assureur ? C’est un peu à ce choix cornélien que sont soumis tous les pays du monde, à l’exception des pays occidentaux, dont les dirigeants sont depuis longtemps des laquais mis en place par les Américains, France y comprise.

Dans un prochain article nous verrons les conséquences concrètes pour nous de la dédollarisation.