La crise des Gilets jaunes de la fin 2018 et la nouvelle crise que nous traversons aujourd’hui suscitent bien des questions et mettent en lumière l’incroyable décalage qui existe entre la caste au pouvoir et les citoyens. Le lien est rompu ; la 5e République et son fantasme d’unicité et indivisibilité sont morts : La France est multiple et très divisée. Comment revivre ensemble dans le respect, la solidarité et la fraternité après un tel éclatement ? Un changement de Constitution est-il possible ?
Car pour changer les choses, il faudra à minima modifier la Constitution française, mais beaucoup plus sûrement écrire une nouvelle Constitution. Un exercice très compliqué en France, mais pas en Suisse où l’on sait qu’une Constitution ne dure qu’un temps et qu’il vaut mieux la renouveler de temps en temps.
N’oublions pas que la Suisse, même si elle n’est pas exempte de critiques et de faiblesses, est un pays qui pratique la démocratie, la vraie, celle qui respecte les citoyens. Forte de 26 cantons, elle fait vivre ensemble des minorités montagnardes et de grandes villes industrielles, le tout avec quatre langues officielles, des religions différentes et un positionnement géographique particulier.
Ce que l’on a du mal à percevoir chez nous, c’est qu’il faut voir la Suisse comme une petite Europe qui s’est construite avec 26 pays différents. Si l’on compte les pays voisins du sud Alsace en considérant comme pays, ceux qui ont une Constitution, un parlement, un drapeau et un hymne national, ce ne sont pas deux pays qui nous entourent (Allemagne et Suisse), mais 5 pays : Le Bade-Wurtenberg, Basel Stadt, Basel Land, Soleure et Jura. C’est ce qui permet à nos voisins d’être si efficaces : eux ont toutes les armes en main pour décider de leur destin. Nous, on doit passer par Metz pour le grotesque Grand Est et attendre l’aval définitif de Paris avec toute la bureaucratie que l’on sait.
Justement, le canton de Vaud, qui n’est pas voisin de l’Alsace, mais qui est francophone a changé sa Constitution en 2003. Suivons le cheminement d’une telle décision et sa réalisation pour nous faire une idée de ce que cela représente d’écrire une nouvelle Constitution.
Trois ans pour décider
Dans un premier temps, il est important de comprendre que la rédaction d’une constitution demande du temps. Celle du Canton de Vaud, en Suisse, a demandé 7 ans de travaux.
Rappelons que la Constitution française actuelle a demandé en tout et pour tout 5 mois (en comptant large) entre la crise d’Alger (13 mai 1958) et sa promulgation (4 octobre 1958) ! On mesure d’emblée la différence entre une Constitution faite par le peuple pour le peuple, et une constitution faite par des hommes politiques, pour des hommes politiques…
Pourquoi une nouvelle Constitution ?
Comme en France, c’est une crise politique qui a conduit à l’idée de réécrire la Constitution qui datait quand même de plus de 100 ans… Mais à la différence de la France, la Suisse est un pays qui trouve ce processus naturel et qui l’encourage et le soutient.
Pensez-vous qu’en France, on puisse trouver un seul parti national qui soutiendrait une telle démarche ?
De l’idée à la décision populaire
Il est important de comprendre que le Conseil d’État qui est évoqué ici, n’est pas celui de la Suisse, mais bel et bien du canton de Vaud qui, il faut le rappeller, est un pays à part entière… ce qui est assez difficile à comprendre pour un Français habitué à un état central. Rappel : la Suisse est en fait une mini Europe de 26 pays…
On notera que des citoyens se mêlent au processus et peuvent soumettre leur propre projet, chose inconcevable en France.
Campagne et élections
Comme dans tout processus démocratique, la désignation des Constituants, c’est-à-dire ceux qui seront en charge d’écrire la nouvelle Constitution, fait l’objet d’une campagne. Chacun y va de ses arguments pour parvenir à obtenir le maximum de poste de Constituants et ainsi orienter la nouvelle Constitution vers sa vision du vivre ensemble. Mais il s’agit-là d’un processus naturel et humain.
Composition politique et citoyenne de l’Assemblée constituante
Les idées politiques des citoyens se retrouvent forcément dans un processus de désignation à base d’une élection. On peut légitiment se poser la question de savoir si un processus de désignation par tirage au sort serait plus équitable. Une Constitution doit-elle refléter la « tendance » de la société ou être le fruit du hasard ?
L’assemblée s’organise seule
Une assemblée constituante s’organise seule. Elle désigne ses responsables avec un souci constant d’équilibre et de consentement.
On mesure ici la puissance du mécanisme. Chaque canton est en effet libre de se structurer selon ses atouts et la volonté de ces citoyens. Le pouvoir est au plus près des citoyens qui peuvent rencontrer les Constitutants, communiquer avec eux, pour élaborer la Constitution la plus adaptée à la région.

Organisation
Les choses se compliquent un peu pour ceux qui sont devenus des Constituants. Ils vont devoir réfléchir à la façon d’organiser le vivre ensemble en travaillant au sein des six commissions thématiques décidées à l’étape précédente en collaboration avec les commissions de rédaction, de structure et de coordination et coprésidents et commission. Les allers-retours sont nombreux et permanents.
Réflexion
L’Assemblée constituante travaille. Va à la rencontre des citoyens, tient compte des contraintes politiques et financières, informe les citoyens et recueille leurs doléances. Elle peut aussi définir, comme dans le canton de Vaud, des « points chauds » qui ressortent de la crise qui a conduit à la nouvelle Constitution.
N’oublions pas qu’il s’agit là d’un processus cantonal qui permet une proximité impossible à l’échelle d’un pays.
Six commissions au travail
Les commissions sont composées de 30 membres. En plus d’avoir accès à une large documentation, elles prennent aussi l’avis d’experts, de représentants de groupe d’intérêts, etc. Le but de ces commissions étant d’aboutir à la rédaction d’un texte qui soit le plus en phase avec les attentes de tous, toujours dans le respect et la construction. Des rapports sont produits par chaque commissions. Ils serviront à la rédaction de la Constitution.
Rédaction de l’avant-projet
Moment important de la vie publique, la soumission de l’avant-projet permet de mesurer l’avancée réalisée par rapport à l’ancienne Constitution. Il s’agit aussi pour les Constituants d’une première étape importante et du début du processus final. Pour aboutir à ce résultat, l’Assemblée constituante s’est réunit 23 fois en séances plénières. Un travail de longue haleine…
Consultation populaire
La consultation populaire qui suit la diffusion de l’avant-projet de la nouvelle Constitution est un grand moment démocratique. Les citoyens, les communes, les associations et groupes d’intérêts, peuvent encore faire entendre leur opinion sur tel ou tel point du texte.
Les experts valident juridiquement le texte tandis que les différentes chambres déposent des rapports. Cette phase de consultation après soumission de l’avant-projet permet de déceler les incohérences éventuelles et les oublis. Elle est indispensable !
Élaboration du texte final de la nouvelle Constitution
Les retours obtenus sur l’avant-projet permettent d’équilibrer le texte et d’en faire une nouvelle version et ce sont les Constituants qui décident, article par article, de la nouvelle mouture du texte.
L’ensemble de ce travail aura nécessité 19 séances pleinières pour aboutir a la version finale qu’approuve l’Assemblée le 17 mai 2002.
Vote populaire
Le vote de la Constitutions par les citoyens du canton de Vaud est un moment majeur de la vie citoyenne. La nouvelle Constitution rentrera en vigueur deux cents ans après l’entrée du Canton de Vaud dans la Confédération helvétique.
Pour information : la nouvelle Constitution cantonale du Canton de Vaud en Suisse, a été adoptée en votation populaire le 22 septembre 2002 par 55,9 % de oui et une participation de 44,4 %.
On pourra s’étonner de la faible participation (44,4 %) et du taux relativement faible d’adoption (55,9 %), mais il faut comprendre que le processus de transparence démocratique fait que les citoyens ne doutaient plus de l’adoption de la nouvelle Constitution et se sont donc abstenus, tandis que les opposants à cette nouvelle constitution, eux, se sont rendus aux urnes.
Coût d’une nouvelle Constitution
La démocratie a un coût qu’il est important de connaître. Cette notion du coût démocratique est toujours utile pour mesurer l’importance de la citoyenneté et de la liberté.
La démocratie est un processus lent et coûteux. Les pays les plus démocrates du monde sont ceux qui s’en sortent pourtant le mieux…
Conclusion
On voit, au travers cette expérience de création d’une nouvelle Constitution, que mettre en place une nouvelle Constitution demande du temps, beaucoup de temps. Il faut dialoguer, écouter les experts, réfléchir, se projeter.
Quand on sait que la Constitution française de 1958 a été élaborée en 5 mois et dans le secret, que faut-il en penser au regard de ce que nous venons de voir ?
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