Langues régionales au bord du gouffre ?
Un livre de Thierry Kranzer aux éditions Yoran
290 pages 18 euros
Depuis 2001, Thierry Kranzer est attaché de presse francophone au siège de l’ONU à New York. Au sein de cette institution, il défend la langue française, et en tant que secrétaire général du Souvenir français des Etats-Unis, et président de l’Union alsacienne à New York, il s’engage en faveur de l’image de la France à l’étranger.
Il est important de le souligner, car à la lecture de son livre, les tenants du centralisme parisien ne manqueront pas de lui reprocher d’être un Alsacien replié sur une culture passéiste doublé d’un ennemi de la France. Or, s’il y a un homme sur lequel ces deux reproches ne prennent pas, c’est bien lui.
Sa charge contre la politique linguistique de la France en est d’autant plus cinglante. Il parle sans hésiter de politique de génocide culturel, de tradition de répression culturelle et même de discrimination linguistique et de racisme (pages 41 et 42). Pour qui connaît le langage banal et convenu de bien des travaux universitaires, c’est une bouffée d’oxygène.
Aussi dure soit-elle, l’attaque est cependant parfaitement étayée par des citations, références et documents annexes, comme il se doit pour un travail rédigé dans le cadre d’un master géopolitique et relations internationales. C’est dire si le livre de Thierry Kranzer est un document précieux pour les millions de Français forcés d’assister à l’élimination systématique de leur langue maternelle.
Pour nous Alsaciens, il entre dans la lignée de ces auteurs qui ont maintenu vivante la flamme de nos droits linguistiques. Ce que Wittmann fait pour notre histoire, Kranzer le réalise pour notre langue. En cela, il succède à des personnalités aussi prestigieuses que Paul Lévy et son incontournable Histoire linguistique d’Alsace et de Lorraine, Eugène Phillips et ses Luttes linguistiques en Alsace jusqu’en 1945, mais aussi André Weckmann dans son travail d’essayiste et de pédagogue.
Kranzer poursuit et actualise leurs travaux. Il élargit son étude à toutes les langues minorisées de France en se basant sur ses solides connaissances en matière de droit des minorités, acquises durant ses années d’activité à l’ONU. C’est devenu banal de le dire, mais devant la mauvaise foi parigote il est indispensable de le répéter et Kranzer le démontre à merveille : la France aurait tout à gagner à développer une véritable politique en faveur des langues régionales avec immersion dès la maternelle etc. Or on sait ce qu’il en est.
Je n’ai que deux réserves à émettre sur l’argumentaire de ce livre.
Tout d’abord lorsque l’auteur exige une loi contre la discrimination des langues régionales (p. 162). Je ne vois en effet aucun inconvénient à ce que des individus affirment que la terre est plate ou que d’autres, au moins aussi attardés et désinformés, martèlent dans les médias subventionnés par nos impôts que l’apprentissage d’une langue régionale nuit à l’enseignement du français.
Toute, je dis bien toute loi qui empêche les hommes de s’exprimer, de manière aussi stupide soit-elle et quel que soit le sujet, est mauvaise, car elle revient à exercer une censure qui de tout temps n’a fait que mener à l’exact inverse de l’objectif qu’elle s’était fixé.
Ensuite, je ne peux qu’être surpris, au vu de cet inventaire à la Prévert de tous les coups tordus réalisés depuis trois cents ans par la politique et l’administration française dans le but de détruire les cultures hexagonales, que l’auteur puisse encore croire qu’il existe un avenir pour les langues régionales au sein de la France.
Pas plus tard qu’hier, l’actuel président de la république a annoncé qu’il désirait faire ratifier la charte européenne des langues régionales. Pour savoir que penser de cette promesse, il suffit de se rappeler les paroles du candidat Mitterrand en mars 1981, que Kranzer cite justement à la page 49 :
Le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique.
C’était il y a bientôt 35 ans, la promesse d’un futur chef d’Etat qui est resté quatorze années en place ! Pour quel résultat ? Même en admettant que l’Assemblée nationale ratifie un jour la charte, il est évident que tous les réseaux, les officines et l’administration française freineront des quatre fers pour empêcher son application.
Si nous voulons sauver nos langues, nous devons faire progresser l’idée de sécession partout où elles sont encore pratiquées, dans l’idéal, Paris devrait être acculé à une situation où le seul moyen d’empêcher l’éclatement du pays serait leur reconnaissance pleine et entière. Depuis Louis XIV, la France ne craint qu’une seule chose : que les provinces vaincues retrouvent leur liberté.
Ceci étant dit, ne boudons pas notre plaisir : Langues régionales au bord du gouffre regorge de références et de citations très utiles pour qui veut s’informer sur le sujet, aiguiser ses arguments pour être en mesure de débattre en privé ou en public, dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux.
C’est un livre qu’on ne peut que recommander à tous ceux qui désirent acquérir un vrai savoir dans un domaine ou les médias accumulent les stupidités à longueur d’info. Un bréviaire pour tout militant de sa langue régionale. Une lecture que tout politique amené à prendre des décisions en la matière devrait s’imposer, mais là, je rêve à un point que c’est même plus possible…
Joseph Schmittbiel
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